Rêve et Châtiment

Recueil illustré de poésie de Reza Hiwa, sorti en 2012.

Dans ce recueil Reza Hiwa propose une anthologie de sa production, organisée sous forme de journal s'échelonnant de janvier 2000 à décembre 2008. Les thèmes varient au fil des vicissitudes de la vie, alternant les évocations de la dissidence et des pérégrinations de l'exil, aux interrogations sur l'humanité et ses relations au monde, aux poèmes d'amour.

Un kaléidoscope d'émotions entre drame et ironie, toujours sur le fil de l'humanisme.

Ce recueil fut publié en 2009 pour la première fois par les Editions de l'Harmattan dans la collection Levé d'Ancre.

Préfaces: Gérard Augustin, Dacia Maraini

Illustrateur
Vrbain
Date de publication
01/06/2012
Nombre de pages
Non renseigné
Prix
12.0 Eur
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Dédicaces
A mon Majid
Reza Hiwa
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A mon Majid

Envol, Dessin par Reza Hiwa

... Madame, vous ne pouvez pas rendre visite à votre fils Il était gravement malade Il est mort il y a un mois Il est enterré dans le Cimetière des Païens Vous connaissez les règlements. N'est-ce pas? Pas de chichi Pas de deuil On compte sur votre discrétion J’espère que c’est bien clair

C’est ainsi qu’ils annoncèrent la mort de mon Majid A sa mère

Reza Hiwa Le 14-09-2000 Peterborough, chambre d’hôtel Extrait du poème: Coup de fil

Préfaces
Nous faire persans
Gérard Augustin
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Nous faire persans

Gérard Augustin

Le monde dont parle Reza Hiwa est à la fois le monde quotidien que nous connaissons et un monde impossible. La poésie dont le but essentiel est de montrer à quel point ce monde est invivable, d'affirmer l'hostilité de l'homme à toute compro-mission avec un monde où les innocents sont massacrés, les enfants affamés et les pays dévastés, dont l'usage toujours renouvelé est de détruire tous les discours qui prétendent que ce monde est un monde souhaitable, enviable même, et de rendre dérisoire toute littérature apte à chanter le désir jamais las d'un tel déluge de mensonges et de tueries, d'un tel paradis narco-fiscal, la poésie véritable, dis-je, trouve son compte dans le livre de Reza Hiwa.

Ce livre révèle notre étrange idée du progrès, quand il faut au Persan du 20ème siècle fuir sa patrie, passant par les montagnes du Kurdistan, y retrouver ses frères ou ses cousins pour y réciter Hafez ou se livrer à des jeux poétiques, juste avant que ne se répandent les gaz mortels, venir en Europe, en France, avec peu de chances de retourner à Téhéran pour raconter les merveilles et les incongruités de la République française.

Malgré tout, l'idée du progrès, chère à l'Europe, est celle de Breton, "à la veille de 1930", telle est-elle "que nous sommes heureux et impatients de voir des yeux d'enfants, grands de tout le devenir, s'ouvrir comme des papillons...", de retrouver ici ces yeux, à l'intérieur de poèmes dialogués, de courts récits en vers où la malice de l'enfant est la seule arme contre l'inquiétante bonté de l'homme civilisé.

A travers ces poèmes, nous revivons à nouveau ce dépaysement qu'exige toute pensée, toute rêverie si elles se veulent efficaces. Il y a l'exotisme de l'amour et celui de la terreur, qui nous sont plus ou moins bien connus et que nous partageons avec l'auteur comme une longue errance ou une visite impromptue en prison. Il y a "la faculté de migration qui n'est positivement qu'aux oiseaux", dont parle encore Breton, et qui ne nous est octroyée que pour quelques instants, dans l'ambiguïté même d'une langue dont nous reconstruisons les origines, cette faculté de nous faire persans nous-mêmes et de parcourir Londres, désirer et souffrir dans la région parisienne, rire dans l'Eurostar, en quête d'une identité si pertinente, si exigeante qu'elle fasse du lecteur un otage de l'amour et le responsable de tous les autres lecteurs. Dans le jeu des trois langues, le français, l'anglais et le persan, l'exote moderne comprend que le voyage commence par les mots qu'il reçoit à nouveau de l'autre au moment où il se surprend à en oublier l'implacable rigueur et le don terrible de liberté.

Gérard Augustin, 2009

Chant de liberté
Dacia Maraini
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Chant de liberté

Dacia Maraini

C'est de la nécessité que sont issus les mots que le poète iranien Reza Hiwa soustrait au silence. Silence a pour titre l'un de ses poèmes, et le silence, on le sait, est une vox media, un mode d'expression intermédiaire. Il peut être doux lorsqu'il nous apporte la paix et une écoute plus profonde de nous-même et des autres, mais également acre lorsqu'il révèle l'impossibilité de s 'exprimer: silence-absinthe, dirait le grand poète italien Zanzotto.

Et n'oubliez surtout pas D'interdire le silence

voilà l'exhortation de Reza Hiwa, dans l 'éventualité où on aurait retrouvé la liberté qui permet de briser le silence.

Nombreux sont les dialogues imaginaires de Hiwa, réfugié politique, qui fuit un silence imposé; qui se fait chantre d'une épique antihéroïque, d'une poésie antilyrique constituée de fragments de vie, empreinte d'une nostalgie à peine murmurée dans la lutte pour sa reconstruction personnelle, bâtie sur ses propres racines, dans le souvenir d'hommes torturés ou tués, d'un peuple « éternellement damné », semblable à celui de son amie du Kosovo, Haida « autant que deux gouttes de sang.

Le style simple de Reza Hiwa est frappant, et sa déclaration de poétique semble tenir toute dans l'un de ses poèmes dédié à Bertold Brecht :

Il y des mots Qui se veulent limpides Qui saccagent le cœur Pour porter la chose

Et il y a ceux Qui se font obscures Qui saccagent le sens Pour décorer le vide

Par ailleurs une énergie d’amour anime puissamment Reza Hiwa, homme à la recherche de l’altérité humaine et sentimentale. Son souffle peut s’exprimer par des images limpides dans le reproche à la femme aimée du poème Ne me quitte pas :

La prochaine fois que tu me quittes Pour un jour ou un siècle Soit laisse-moi ton cœur Soit reprends tes souvenirs

Hiwa écrit pour la liberté, pour la mémoire, contre toute violence, censure ou vengeance et semble affirmer, dans son désir absolu d’amour, la formule qui pourra éloigner le mal :

Et n’essayez surtout pas De m’intoxiquer un jour En m’envoyant du gaz Je ne respire que l’amour

Toutefois, dans sa détermination à poursuivre son chemin, dans l’ivresse de vie dont il fait foi, Reza Hiwa ne parvient pas à cacher complètement les blessures que son parcours lui a infligées et au fond de son chant de liberté dans l’exil, comme dans celui de Hikmet ou de Darwish, la plaie n’est pas encore complètement refermée.

car dans l'exil il n'y a qu'une seule saison la sécheresse

Dacia Maraini, Avril 2012

Deux mots
Reza Hiwa
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Deux mots

Reza Hiwa

Dépêche-toi Reza ! C'est ton tour!

Il fallait que je dise un vers commençant par la dernière lettre de celui de mon voisin. Mais comme j'ai toujours eu une mémoire criblée d'oublis, je cherchais en vain jusqu'au dernier coin de mon âme d'enfant, et trop souvent je cédais mon tour sans vers dire. Jusqu'au jour où j'ai proposé ma version du jeu: celui qui invente un nouveau vers qui plaît à tout le monde n'a pas perdu.

Mon amendement fut adopté et mon grand frère et moi avons transformé le jeu en une succession de délires incontrôlables. On a mis en place la fabrique la plus délirante des vers insensés. Quarante ans plus tard, moi à Paris, lui au Kurdistan, voix tremblante, il m'a récité au téléphone mon premier poème (c'est ainsi qu'on l'appelait !)

Les règles du jeu étaient les mêmes, à Téhéran ou au Kurdistan : toute la famille y jouait ; on se mettait en rond, assis par terre, les plus âgés adossés aux coussins, eux-mêmes adossés aux murs. Le plus âgé choisissait celui qui devait commencer et... chacun à son tour disait par cœur un seul vers d'un poème de son choix. Le suivant, son voisin, devait dire un autre vers commençant par la dernière lettre du vers précédent. Et ainsi de suite. Celui qui n'arrivait pas à en trouver cédait son tour. Il n'y avait ni gagnant ni perdant. Le jeu se déroulait sous une avalanche de litanies, de blagues, de moqueries et de commentaires entre deux vers !

Un jeu d'élite ! Je vous entends ! Détrompez-vous! C'est un jeu très populaire. En tout cas c'était. Dans ma famille, la plupart des joueurs étaient illettrés ! Détrompez-vous encore !

Ils n'étaient pas là pour jouer les figurants, ils étaient des adversaires redoutables !

En Iran, de mon temps, on grandissait, entre autres, avec les poèmes. On les buvait, on jouait avec, on enterrait nos morts avec... Dans n'importe quelle maison, même à la campagne, il y avait au moins deux livres : le Coran et le Divân de Hafiz. Ce dernier, parfois même comme sa première fonction, servait à décider s'il fallait marier sa fille, entamer un projet, faire un voyage, vendre son bétail, déménager... Il s'agissait d'une cérémonie solennelle, Fâl-e Hafiz. Un bon repas, avec un bon riz iranien, en présence des grands invités de la famille, au moins un qui savait lire et, surtout, interpréter les poèmes de Khâjé Hafiz. Le moment venu le sage, l'interprète, très souvent un jeune, se levait et ça commençait :

"O Khâjé Hafiz de Shirâz ! ..."

Il ouvrait une page au hasard et lisait le premier vers du poème. Si le maître parlait du printemps, l'arrivée des rossignols et leurs chants, cela voudrait dire : Vas-y mon vieux ! Ne t'inquiète pas ! Si par contre...

Et Khâjé Hafiz, égal à lui-même, restait toujours mystique, imprévisible et grand sage. Des deux livres indispensables que j'ai mentionnés, c'est sans doute le dernier qui se trouvait souvent plus usé et fatigué. Ne pas comprendre ce point de détail sur l'état d'usure de ces deux livres vous laisse à côté de la compréhension de ce pays et de sa civilisation.

Une particularité perse ?

Pas vraiment. On jouait à ce jeu aussi bien à Téhéran qu'au Kurdistan. Il doit y avoir un poème dans ce recueil, j'espère, décrivant une soirée poétique surréelle dans un village kurde, , sotto il fuoco incrociato e ininterrotto, sous les tirs croisés et ininterrompus des Peshmergas et des soldats de Saddam Hossein.

Une particularité kurde ?"

Pas vraiment. La poésie perse fut le ciment, la fierté et le langage commun de beaucoup de peuples en Orient. Fabriquer les souvenirs immortels et souder la cohésion des hommes par le jeu ; cimenter les relations et l'unité des peuples qui partageaient la même Histoire... la poésie persane a toujours eu une fonction sociale forte, évidente et reconnue comme telle.

Ce n'est donc pas une surprise qu'ici, en France ou ailleurs, je cherche la poésie à venin. Mes cousins de plume. Ayant un pied dans chaque tribu, je vibre ainsi deux fois au rythme des événements. Ce qui me pousse parfois à me battre pour m'unir avec moi-même ! Je vois parfois se déclencher toute une guerre civile en moi ! Des dialogues sans fin ! Des dialogues de sourds ! Des tribunaux ! Des juges ! Des avocats ! Des témoins !

... Bref, un champ de bataille ambulant !

Et mis à part ses éclats et ses balles perdues, je me moque de mes guerres civiles privées. Quiconque y gagne, n'empêche que c'est moi le vainqueur. Le mot exil m'arrache un soupir spontané au lieu de m'inspirer une réflexion. Même si, à le vivre, ce n'est pas tous les jours fête, je refuse de m'en considérer comme la victime et, préparez-vous, je vous le souhaite à tous !

Mon exil a été ma vraie université. Ce n'est qu'une fois hors de chez moi, que j'ai commencé à mieux comprendre tout ce qui m'entoure, y compris mes propres racines. Si un jour j'ose réclamer une once d'universalité dans mes crimes littéraires, c'est encore dans cette université que je l'ai dénichée.

Sur les traces du héros de Montesquieu dans ses Lettres Persanes, je passe de l'émerveillement à l'incompréhension et de la joie aux larmes en parcourant les cités d'Europe. Et plus je me frotte aux êtres, plus je me glisse à travers ses langues, plus je m'habitue à ses coutumes, plus je m'insurge contre le cynisme ambiant que je croise à chacun de ses carrefours, plus je m'échauffe à l'amour et à l'amitié gratuits offerts aux mêmes carrefours... et plus je crois à l'unité de l'Homme et à celle de son destin. C'est pour ça que j'ai pris mon bâton de pèlerin et je suis parti à sa recherche.

Et c'est à la santé de cet Homme que je lève mon vers !

Le verre suivant sera pour Khayyâm!

Reza Hiwa 10-12-2008#04.07 Le Nid

Extraits
Parle mon cerf-volant
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Parle mon cerf-volant

Dessin: Reza Hiwa

L'Unita
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L'Unita

Dessin: Reza Hiwa

Pêcheur
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Pêcheur

Dessin: Reza Hiwa

A quoi ressemble un arbre
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A quoi ressemble un arbre

Dessin: Reza Hiwa

Poète, Editeur

Reza Hiwa est un poète, né à Téhéran en 1955 de parents kurdes immigrés dans un quartier ouvrier de Téhéran. Il grandit comme un immigré chez lui, obligé de cacher qu’ils étaient kurdes et que ses parents étaient sunnites. Il vit sa jeunesse dans ce quartier où se mélange la mosaïque ethnique du pays. La misère pousse toujours les laissés pour compte des provinces vers les métropoles.

Il entre à l'université pour réaliser le rêve des parents et devenir ingénieur, le symbole de la réussite sociale. Mais il a la tête ailleurs. Les veilles des examens il dévore Beethoven, Marx et Hugo, et au lieu d’étudier la résistance des matériaux il pense à une autre résistance.

Il se bagarre contre deux dictatures et finit en exil. Le voilà en France, père de trois enfants. Un autre cadeau de la vie lui fait parcourir l’Europe.

Il prétend qu'il est poète car il a découvert la femme chez lui et qu'il doit tout à l'amour des femmes.

Il trouve enfin son livre fétiche, l’Homme, qu’il lit avec boulimie. Il préfère les conversations de trottoirs aux querelles savantes.

Il dit qu’il est né pour semer. Semer même quand tout fait croire qu’il est seul, isolé et marginal. Semer malgré la sécheresse et l’inondation. Semer les mots d’amour ne peut apporter que la Paix après tout.